Yuv Sungkur, conseiller climat d’ex-dirigeants mondiaux

L’activiste Yuv Sungkur a contribué à un rapport sur le climat publié le 14 septembre 2023 par la Climate Overshoot Commission. Ce rapport propose des stratégies pour éviter de dépasser l’objectif de 1,5°C de réchauffement de la planète. Rencontre avec ce jeune Mauricien engagé, ce dimanche.

Photos : Yuv Sungkur/ Climate Overshoot Commission

La Climate Overshoot Commission est une commission indépendante composée de treize dirigeants mondiaux, dont la mission est de proposer des stratégies pour réduire le risque de dépassement de l’objectif de 1,5°C de réchauffement climatique (« overshoot »), explique Yuv Sungkur. L’activiste de 24 ans fait partie des six jeunes du monde entier qui ont été choisis par la commission pour former le Youth Engagement Group, un groupe de conseillers auprès de dirigeants mondiaux. Il a participé à la création des stratégies proposées dans le rapport publié le 14 septembre 2023 à New York.

« Je suis extrêmement heureux de faire partie des six jeunes choisis par la commission. La beauté de notre groupe est que nous venons de partout dans le monde et que nos expériences se complètent parfaitement », affirme l’activiste. Il nous présente ses collègues : Jeremiah Thoronka de Sierra Leone, Chandelle O’Neil de Trinidad & Tobago, Alex Clark de Grande-Bretagne, Louise Mabulo des Philippines, et Shirmai Chung de Hong Kong. « Nous venons tous de milieux différents, que ce soit la recherche, l’activisme ou le droit. Nous sommes chacun assez uniques et différents par nos expériences. Je pense que c’est aussi pour ça que notre groupe marche aussi bien. »

Quel a été leur travail ? « Nous avons collaboré sur notre propre rapport et les recommandations que nous avons pu présenter à Nairobi en mai », répond Yuv Sungkur. Il confie être heureux d’avoir pu travailler avec des jeunes aussi inspirants et se dit convaincu qu’ils collaboreront sur d’autres projets ensemble dans un futur proche.

Le rapport de la Climate Overshoot Commission propose un agenda nommé CARE (Cut Emissions, Adapt to Climate Change, Remove Carbon Dioxide and Explore Solar Geoengineering). « Ce rapport propose également des stratégies pour financer la transition climatique en mettant l’accent sur les besoins primordiaux des pays en développement », indique Yuv Sungkur.

La prochaine étape, après la publication du rapport, est sa diffusion, ajoute-t-il. Afin qu’il ait l’impact souhaité au niveau international, l’activiste estime qu’il faut frapper aux portes des plus grands médias tels que TIME Magazine, New York Times, The Economist, Le Monde, le World Economic Forum et des grandes institutions comme le PNUD et l’ONU.

Une question : être conseiller en matière de climat auprès d’ex-ministres et présidents, cela a-t-il du sens au lieu de conseiller ceux qui sont au pouvoir et qui peuvent changer les choses ? « Idéalement, le but serait d’être celui qui a le pouvoir de changer les choses », répond Yuv Sungkur en riant.

Je suis heureux de voir que des dirigeants mondiaux décident de faire confiance à la jeune génération»

Plus sérieusement, il fait ressortir que ces anciens dirigeants mondiaux ont décidé, de leur propre gré, de s’engager à trouver des solutions et à les mettre en action. « À travers leurs carrières, ils ont réussi à fédérer leurs pays pour leurs causes. Ils savent comment créer un élan. Aujourd’hui, ces dirigeants mondiaux peuvent discuter avec les plus hautes instances du monde international. Pour la cause climatique, c’est une chance qu’il faut saisir. Et au niveau personnel, je ne peux qu’apprendre d’eux », souligne-t-il.

D’ailleurs, Yuv Sungkur, en tant que conseiller junior pour la Commission, se dit « privilégié et honoré » de travailler avec des ex-ministres et présidents. « Ce privilège n’est pas donné à tout le monde. Je n’ai pas vraiment les mots pour exprimer à quel point je suis fier de pouvoir représenter Maurice à ce niveau-là. »

En tant que jeune, il confie être heureux de voir que des dirigeants mondiaux avec une expérience aussi inspirante décident de faire confiance à la jeune génération. « La commission et son secrétariat nous font vraiment confiance et nous prennent en totale considération dans leurs décisions. C’est rassurant et gratifiant de savoir qu’il y a un respect mutuel malgré la différence d’âge et de perspectives. Beaucoup de gouvernements devraient s’inspirer de cet esprit d’ouverture », estime le jeune activiste pour le climat.

Yuv Sungkur affirme que ce dialogue est crucial. « Cela montre que notre travail de sensibilisation est pris en compte au plus haut niveau. C’est une véritable victoire pour nous. Je comprends qu’il y a des divergences de points de vue entre générations et c’est tout à fait normal. Mais si nous restons bloqués sur nos différences, nous n’avancerons jamais. »

Selon lui, la société est-elle consciente des risques liés au dépassement de l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C ? Il répond par la négative. Or, insiste-t-il, limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C offre une bien meilleure chance d’éviter les effets irréversibles du changement climatique. « La différence d’un demi-degré peut sembler minime mais elle peut avoir un impact considérable sur l’intensité et la fréquence des catastrophes climatiques. La situation actuelle n’est pas prometteuse », s’inquiète-t-il.

Yuv Sungkur en profite pour rappeler que selon les dernières statistiques de la NASA, en 2023, le monde est actuellement à 1,2°C depuis l’ère préindustrielle et la barre de 1,5°C devrait être atteinte dans les prochaines décennies, bien avant 2050. « Si nous continuons à agir comme nous le faisons en ce moment, c’est que nous ne sommes pas assez informés. »

Yuv Sungkur fait comprendre que le changement climatique est avant tout une question d’injustice. « Historiquement, Maurice a émis 120,60 millions de tonnes de CO2 depuis 1750. Pour mettre les choses en perspective, cela représente 0,01 % de la part des émissions cumulées de CO2 dans le monde. Pourtant, en tant que petit État insulaire en développement, nous sommes automatiquement considérés comme l’un des pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique. Notamment en raison de notre position géographique et de notre taille. Le World Risk Report de 2018 a classé Maurice au 16e rang des pays les plus exposés aux catastrophes climatiques », rappelle-t-il.

Mais il ne faut pas baisser les bras. L’activiste pour le climat se dit particulièrement optimiste au niveau technologique. Il évoque notamment les innovations en faveur des agriculteurs. L’utilisation de systèmes d’informations géographiques (SIG), par exemple, permet aux agriculteurs de cartographier les données des champs, de les organiser et de les analyser et de surveiller leurs cultures à distance.

« Mais là où je reste le plus optimiste, c’est la force de toute cette nouvelle génération qui est prête à faire bouger les choses, avance Yuv Sungkur. Que ce soit au niveau national ou international, j’ai pu rencontrer tellement de personnes inspirantes et j’en suis très reconnaissant. »

Sécurité alimentaire et eau

Le dépassement de 1,5 °C de réchauffement climatique a des implications majeures. Selon les Nations unies, environ 821 millions de personnes dans le monde souffrent actuellement de la faim. Le réchauffement climatique pourrait entraîner une augmentation de 25 % de ce chiffre d’ici 2050 en raison de la réduction des rendements agricoles, prévient Yuv Sungkur.

En ce qui concerne l’eau, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’au moins deux milliards de personnes dans le monde utilisent une source d’eau potable contaminée par des matières fécales. « Les événements climatiques extrêmes associés au changement climatique peuvent aggraver ce problème en perturbant les infrastructures d’approvisionnement en eau potable, exposant ainsi davantage de personnes à des risques liés à l’eau non potable. Dépasser 1,5°C ne va faire qu’aggraver ces statistiques déjà bien sombres », estime le jeune activiste pour le climat.

Stabilité sociale

Le dépassement de l’objectif de l’Accord de Paris pourrait-il influencer la stabilité sociale ? « Cela pourrait avoir un impact majeur, répond Yuv Sungkur. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), si nous dépassons 1,5°C de réchauffement, cela pourrait entraîner une augmentation de 70 à 90 % des événements climatiques extrêmes d’ici 2100. »

Ces événements, tels que les inondations, les tempêtes et les sécheresses, peuvent provoquer des déplacements massifs de populations, ainsi que des pertes économiques considérables et des pénuries alimentaires, exacerbant par conséquent les tensions sociales et les conflits. « Les régions déjà vulnérables comme les pays en développement sont les plus susceptibles d’être touchées. Ce qui peut entraîner des mouvements migratoires importants et des pressions sur les ressources, accentuant davantage les risques de conflits », indique-t-il.

Inégalités entre les pays

C’est une réalité consternante, dit Yuv Sungkur, que les pays ayant contribué le moins aux émissions de gaz à effet de serre sont les plus affectés par le changement climatique. Cette situation soulève des questions de justice climatique et sociale, mettant en évidence un déséquilibre entre la responsabilité historique des émissions et les conséquences subies par les populations les plus vulnérables, fait-il ressortir.

« Il est essentiel de comprendre que les pays les moins industrialisés sont souvent les plus vulnérables aux impacts du changement climatique en raison de leur manque de ressources et de leur capacité limitée à s’adapter. Maurice ne fait pas exception à la règle. Nous sommes à la merci d’une situation que nous ne pouvons pas contrôler », observe-t-il.

Que faire pour atténuer ces inégalités ? Yuv Sungkur est d’avis qu’il est important que la communauté internationale continue de travailler ensemble pour réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Et, en parallèle, qu’elle soutienne les pays les plus vulnérables pour faire face aux conséquences inévitables du changement climatique.

Cela implique de prendre des mesures concrètes pour accroître le financement aux plus vulnérables mais également de développer la résilience dans les zones à haut risque, réduire les inégalités face aux impacts et promouvoir la justice climatique intergénérationnelle à l’échelle mondiale.

Le rôle de l’éducation et de la sensibilisation

Comment l’éducation et la sensibilisation peuvent-elles jouer un rôle dans la prévention du dépassement de l’objectif de 1,5°C ? Selon Yuv Sungkur, l’éducation peut avant tout influencer les comportements. « Elle motive les gens à adopter des modes de vie plus respectueux de l’environnement, comme la réduction de la consommation d’énergie, le recyclage et l’utilisation de moyens de transport plus durables. »

Sur le plan politique, une population informée et sensibilisée est plus susceptible de soutenir des politiques environnementales efficaces et de faire pression sur les gouvernements et les entreprises pour qu’ils adoptent des pratiques plus respectueuses de l’environnement.
« L’éducation est synonyme d’innovation. Elle peut favoriser l’innovation climatique », estime le jeune activiste pour le climat.

Quant aux nouvelles technologies bas carbone, il pense qu’elles sont encore coûteuses et peu accessibles. « L’éducation stimulerait la recherche et encouragerait le développement de solutions plus adaptées au grand public », pense-t-il.

Actions possibles

Quelles sont les initiatives que les individus et les communautés peuvent entreprendre pour contribuer à atteindre l’objectif de 1,5°C ? Selon Yuv Sungkur, il faut avant tout un changement de mentalité.

« En tant qu’individus, nous avons un rôle ambivalent. Nous acceptons d’être dirigés par nos leaders, les entreprises privées et les réseaux sociaux certes, mais nous avons aussi le pouvoir de changer la façon dont nous sommes dirigés », indique-t-il.

Aujourd’hui, observe-t-il, nous vivons dans un monde où les entreprises les plus polluantes utilisent l’urgence climatique comme un outil de marketing. Et où nos leaders ne prennent pas les mesures nécessaires en matière de transition énergétique. Mais si nous, les individus, décidons de boycotter ces entreprises qui privilégient le profit au détriment de la planète et qui utilisent le greenwashing comme stratégie de communication et si nous élisons au pouvoir des leaders qui comprennent les conséquences intergénérationnelles du changement climatique, nous aurons fait notre part du travail, dit-il.

Serait-il trop tard ?

Face aux risques liés au changement climatique, Yuv Sungkur craint qu’il ne soit trop tard. « Pour ma génération, le changement climatique est un phénomène que nous avons vu se détériorer au cours de notre jeunesse. Son impact ne commencera pas à nous nuire dans les 5, 10 ou 15 prochaines années », dit-il.

D’ailleurs, ajoute-t-il, les conséquences sont visibles en ce moment même. « New York a été inondée. Il y a quelques semaines, la Libye a aussi été inondée avec plus de 5 000 morts présumés. Un tiers du Pakistan a été inondé en 2022, affectant 33 millions de personnes. On peut aussi parler des feux de forêt à Hawaï et au Canada, de la sécheresse dans le canal de Panama, ou des cyclones en Californie », souligne l’activiste pour le climat.

Qu’attendez-vous pour mettre en œuvre vos promesses ? Comment pouvez-vous rester indifférents à tout cela ? Voici autant de questions que pose Yuv Sungkur aux instances concernées.